Noues avons coordonné la traduction par Anna, Sarah et Camille du livret « Comment démarrer un groupe de prise de conscience? » écrit par Lynn Alderson, lesbienne féministe radicale, dans le cadre de FiLiA.
Voues pourrez vous procurer ce livret traduit en français à FiLiA si vous y allez!
FiLiA est la plus grande conférence féministe d’Europe et accueille plus de 1000 femmes, cette année à Glasgow!
Comment démarrer un groupe de prise de conscience?
Un projet FiLiA Legacy
Démarrer un groupe en non-mixité femmes est un acte révolutionnaire!
Le groupe en non-mixité femmes est la cellule organisationnelle de base de la libération des femmes et de la résistance.
Les groupes de prise de conscience ont été conçus par les féministes de la deuxième vague (mouvement féministe des années 1960 aux années 1980) pour travailler ensemble, apprendre de nos expériences en tant que femmes pour développer notre analyse politique, et, surtout, agir ensemble.
Un texte de Lynn Alderson, féministe radicale de la deuxième vague et militante tout au long de sa vie.
Traduction par Anna, Sarah et Camille, coordonnée par Résistance Lesbienne. http://www.resistancelesbienne.fr
Mise en forme par radicaldesigns.co.uk
Qu’est-ce que la prise de conscience?
La prise de conscience (PC) est une manière pour les femmes de se parler, de faire part de nos expériences en tant que filles et femmes qui avons grandi dans une société où les femmes sont sous-estimées et subissent de fortes pressions.
Bien qu’il puisse être très utile de parler de certaines choses qui noues [NDLT: les traductrices ont fait le choix de féminiser “nous” et “vous” en “noues” et “voues”, inspirées par certains textes publiés dans la revue lesbienne radicale québecoise Amazones d’Hier, Lesbiennes d’Aujourd’hui dans les années 1980] sont difficiles dans la vie avec d’autres femmes qui partagent ces expériences, la PC n’est pas une thérapie, mais une démarche différente puisque noues examinons les manières dont nos expériences ne sont pas seulement individuelles, uniques à noues-mêmes, mais communes et constitutives de notre vécu de femmes. Les groupes en non-mixité femmes sont aussi l’outil d’organisation de base du militantisme féministe et des mouvements de libération des femmes. Regrouper des femmes afin d’approfondir notre compréhension de notre oppression et d’y résister mène à l’action et à la lutte pour la justice pour toutes les femmes. Bien que de nombreuses femmes partagent probablement des idées féministes, ce n’est que par l’action que noues construisons un mouvement et la PC consiste avant tout à partager notre compréhension de notre oppression et à travailler ensemble pour y mettre fin.
Développée pendant la deuxième vague du féminisme dans les années 1970, [la PC] reste un moyen simple de structurer une discussion de groupe, d’utiliser notre expérience comme base pour construire la théorie politique du féminisme, la solidarité et la force qui nous permettent d’agir ensemble.
Faire de la prise de conscience signifie explorer la vérité de nos vies et de nos expériences plutôt que ce que noues sommes censées en penser et ressentir. C’est une façon d’exposer les mythes et les mensonges, et de faire ressortir la vérité. Par exemple, pendant les années 1970, les femmes ont exploré leurs expériences de la violence des hommes.
Auparavant, il était largement accepté socialement que la violence des hommes était le fait d’hommes mauvais ou de quelques hommes se comportant mal, voire même qu’elle était causée par les femmes qui les provoquaient ou les « cherchaient » – en quelque sorte, c’était notre faute. Mais lorsque les femmes ont partagé leurs expériences, il est devenu évident qu’il ne s’agissait pas d’une chose exceptionnelle mais d’un moyen pour les hommes d’imposer leur contrôle – toutes les femmes étaient conscientes du risque et souvent intimidées ou effrayées d’agir. Noues avons commencé à voir comment cela fonctionnait dans chacune de nos vies, que noues ayons été victimes ou non.
Et cela a tout changé, de la façon dont noues comprenions ce qui noues arrivait à ce que noues faisions pour y remédier. Ce constat, à savoir qu’il s’agissait d’une question de pouvoir, et non de psychologie anormale ou d’un homme « mauvais », est aujourd’hui largement accepté, les féministes s’étant battues pour que cette vérité soit reconnue par les femmes. Cette vérité (ainsi que d’autres) continue d’être redécouverte par les femmes.
Les manifestations les plus récentes et les déferlements de colère à propos de la violence des hommes à l’égard des femmes montrent que cette violence est loin d’être terminée, malgré les nombreuses années de travail des féministes sur cette question.
Les actions féministes nées pendant la deuxième vague du féminisme, les manifestations “Reclaim the Night” [NDLT: marches de nuit en non-mixité] et la formation d’organismes gouvernementaux, ont toutefois conduit à la création de refuges et de services pour (et souvent par) les femmes victimes de violence, à une reconnaissance beaucoup plus large des problèmes de la part du gouvernement et des institutions, et à de nombreux changements de politiques publiques et de législation.
La PC est aussi un moyen de créer des réseaux d’amitié et de soutien mutuel entre des femmes qui pourraient vouloir travailler ensemble, participer à une manifestation politique ou mettre sur pied un projet qu’elles jugent nécessaire et trouver la meilleure façon d’aborder les problèmes collectivement. Ceci est très important, et ça l’est d’autant plus aujourd’hui, dans un contexte où les femmes sont grandement attaquées sur les réseaux sociaux et qu’elles subissent une forte pression à être tout à la fois, de l’objet sexuel glamour à la bonne mère de famille, et de travailler à l’extérieur et à l’intérieur du foyer, tout en étant souvent très isolées.
Se rassembler permet de développer une force individuelle et collective. Cela peut aussi être très amusant – il faut parfois rire même lorsqu’on aborde des sujets sérieux et difficiles. Noues apprenons ensemble en noues écoutant les unes les autres et en réfléchissant, car seules les femmes peuvent comprendre et parler au nom des femmes, et le militantisme féministe consiste à faire entendre nos voix. Noues sommes tellement plus fortes ensemble, tant pour noues défendre que pour défendre les autres femmes.
Règles de base
Une rencontre de groupe pourrait commencer par un tour rapide des femmes présentes pour dire un peu comment elles vont, ou pour se présenter brièvement si toutes les femmes ne se sont pas déjà rencontrées. Dans la mesure du possible, il est préférable de se réunir dans des lieux informels et privés, comme l’appartement ou la maison des unes et des autres.
Voues n’êtes pas obligées de voues asseoir en cercle, mais assurez-voues de pouvoir faire le tour du groupe et que personne ne s’assoit, par exemple, en bout de table, car il s’agit d’un processus dans lequel chaque femme est une participante égale, même si une ou deux femmes ont organisé.
Voues passez ensuite au sujet principal. En général, ce sujet a été choisi à l’avance, afin de donner à chacune l’occasion d’y réfléchir et peut-être de lire quelque chose sur le sujet.
Chaque femme essaie de parler de sa propre expérience et de ses propres sentiments sur le sujet. Faites le tour du groupe, en offrant à chacune à peu près le même temps de parole – en chronométrant si nécessaire, car certaines femmes ont beaucoup plus de facilité à parler d’elles-mêmes que d’autres.
Mais le principe est que chaque femme a une contribution pertinente à apporter, et il faut donc laisser la place à chacune et ne pas se précipiter quand une autre femme ne commence pas immédiatement. Si une femme veut passer son tour, donnez-lui la possibilité de reprendre la parole plus tard.
Confidentialité
Cette règle est très importante puisque pour que l’ensemble du processus fonctionne, voues devez établir une confiance mutuelle. Précisez donc explicitement qu’aucune femme ne peut répéter ce qu’une femme a dit en dehors du groupe.
Honnêteté
Soyez aussi honnêtes que possible les unes envers les autres. Cela devrait devenir plus facile à mesure que le groupe apprend à mieux se connaître. Cela ne signifie pas que voues devez parler de la pire chose qui voues soit arrivée dès la première session. C’est à voues de décider ce qui est approprié pour voues. Mais contribuez d’une manière qui soit la meilleure et la plus réfléchie possible.
Écoute
Il s’agit d’une écoute active, qui ne consiste pas à s’asseoir et à réfléchir à ce que voues allez dire à votre tour, mais à écouter réellement ce que dit une autre femme. Parfois, les femmes n’ont pas l’habitude de parler d’elles mêmes ou d’être entendues, et il est important de les écouter vraiment et de leur prêter attention avec respect. Il s’agit d’écouter pour comprendre les similitudes et les différences et de ne pas présumer que noues sommes toutes pareilles, que noues avons vécu les mêmes expériences ou que noues les appréhendons de la même manière. Noues pouvons apprendre autant de nos différences que de nos points communs.
Pas d’interruptions ni de questions Laissez chaque femme s’exprimer. Passez à la suivante. Une partie de ce processus collectif est que, quelle que soit la réaction que voues avez à chaque intervention, lorsque voues avez entendu tout le monde, votre optique a tendance à changer et il devient plus facile de voir la situation politique plus globale.
Discussion générale
Lorsque chaque femme s’est exprimée à son tour, voues pouvez ouvrir une discussion plus générale. Encore une fois, essayez de ne pas laisser une ou deux femmes dominer la discussion. Prenez la responsabilité de laisser de l’espace aux autres femmes pour contribuer, mais ce moment doit être plus informel et devrait être un espace où chacune puisse explorer ce qu’elle a entendu et ce qu’elle peut en conclure. Voues pouvez décider d’organiser plus de sessions sur le même sujet ou de voues informer plus. Ou peut-être voues voudrez discuter de la suite et des actions que voues pourriez faire ensemble . Travailler ensemble sur quelque chose de pratique ou sur un projet, voire même participer à une manifestation peut vraiment renforcer la solidarité et le respect.
Non-mixité femmes
Ce procédé est basé sur l’apprentissage par les femmes de nos vies en tant que filles et femmes, des expériences que noues sommes les seules à vivre. Exister et travailler dans un environnement non-mixte produit aussi un effet indescriptible qui peut être très radical. Voues commencez à percevoir les femmes et voues-même d’une manière différente. Noues pouvons toutes noues épanouir quand noues ne sommes pas obligées de reproduire les rapports de pouvoir traditionnels entre hommes et femmes. Cela peut être vraiment singulier et transformateur si voues n’avez pas encore eu cette expérience – et c’est l’une des raisons pour lesquelles les femmes ont toujours dû se battre pour avoir le droit de se réunir et de s’organiser entre femmes. Cela a un grand potentiel radical.
Engagement
Il faut parfois un certain temps pour créer un climat de confiance et un espace où voues pouvez être honnête et partager librement vos idées. Il peut aussi y avoir des conflits à certains moments ; il serait surprenant que ce ne soit pas le cas. L’engagement consiste donc à continuer d’essayer et à traiter les différences avec respect, en faisant preuve de patience et de réflexion et, encore une fois, en écoutant avec attention.
De nombreuses femmes sont aussi fondamentalement en colère et frustrées par l’injustice et les pressions liées à notre vie dans une société oppressive qui noues impacte tous les jours. Noues sommes toutes abîmées par la vie en patriarcat. La meilleure chose à faire avec la colère est de l’utiliser comme moteur d’action.
Planifiez vos réunions bien à l’avance et essayez de voues engager à assister à toutes les réunions si voues le pouvez. Il s’agit aussi de valoriser ce que voues faites ensemble en tant que femmes, de donner une certaine importance à cela dans votre vie, comme si c’était quelque chose dont voues avez besoin, que voues voulez et auquel voues avez le droit, mais qui ne se produira pas si voues ne voues engagez pas à le faire.
Et, fondamentalement, engagez-voues à contester le sexisme, le racisme, le classisme, les sentiments anti-lesbiens, toutes les nombreuses façons par lesquelles les femmes vivent l’oppression, que voues ayez ou non des femmes concernées par ces problèmes là dans votre groupe.
Comprendre notre vie en tant que femmes et s’engager à changer signifie accorder l’importance nécessaire à la libération de toutes les femmes et essayer de comprendre les différentes manières dont les femmes sont opprimées.
Fermer le groupe aux nouvelles participantes
Si voues comptez suffisamment de femmes, ou si voues estimez que le fait d’en accueillir de nouvelles mettrait fin à la dynamique que voues avez réussi à créer, voues pouvez fermer le groupe aux nouvelles participantes. Si d’autres femmes veulent le rejoindre, encouragez-les à en créer un autre. Aidez-les si voues le pouvez. Lorsque d’autres femmes entendent parler de votre groupe, cela les incite souvent à vouloir en faire partie elles aussi, et le mouvement se répand.
Le nombre de femmes doit tenir compte de la nécessité de donner à chacune assez de temps pour parler. Si voues ne disposez que de quelques heures dans une soirée, voues pouvez donner à une dizaine de femmes cinq minutes chacune pour parler et disposer d’une heure pour la discussion générale.
Mais dix femmes, c’est beaucoup pour ce genre de discussion et je dirais qu’entre cinq et huit femmes serait idéal. Il serait peut-être possible de commencer à trois et de chercher d’autres femmes pour voues rejoindre. Il n’est pas toujours facile de trouver des femmes, même si notre expérience de FiLiA montre qu’il y a un grand intérêt, presque une soif, chez beaucoup de femmes, de se rassembler de manière politique.
Si voues ne voues trouvez pas toutes au même endroit, il existe d’autres façons de travailler. Par exemple, il existe des groupes qui partent ensemble pour un week-end, plusieurs fois par an, et qui travaillent de manière intensive, et il se peut que voues n’ayez pas d’autre choix que d’envisager des groupes en ligne. Cependant, il est grandement préférable de se retrouver ensemble dans la vie réelle.
Types de groupes
Il existe de nombreux autres types de groupes, par exemple, les groupes de soutien qui se réunissent ensemble pour s’entraider entre femmes qui vivent les mêmes difficultés, comme par exemple les groupes de survivantes de la violence des hommes qui fonctionnent très bien. Il y a aussi des groupes qui existent déjà, par exemple, pour réaliser un projet ensemble, comme la formation d’un groupe d’habitat ou pour créer une publication ou une newsletter. Suivre le format d’un groupe de PC peut servir à créer des groupes plus unis et efficaces.
Il existe des groupes, actifs depuis de nombreuses années, organisés sur la base d’un axe spécifique : les groupes de femmes noires, asiatiques ou juives, par exemple, ou les groupes de lesbiennes, ou de mères, ou de femmes âgées – ou sur la base d’une activité, comme les groupes d’autrices ou les groupes souhaitant en savoir plus sur les questions de santé et le corps des femmes.
Voues pouvez aussi utiliser le format des groupes de PC pour explorer toutes sortes de choses. Commencez peut-être par choisir des sujets dont voues savez que toutes les femmes en ont une expérience ou qui sont très ouverts, comme « comment les comportements de la société envers les femmes t’ont-elles fragilisée ou limitée ? » ou des contradictions comme « les femmes ont le droit de porter ce qu’elles veulent, mais je ne me sens pas à l’aise de voir des femmes habillées comme si elles étaient dans un film porno ». Utiliser le « je » plutôt que de parler de manière plus abstraite peut aider. Passez à d’autres sujets tels que la sexualité, qui peuvent être plus difficiles à aborder, lorsque voues avez créé un climat de confiance et de compréhension mutuelle.
Commencer par comprendre que le personnel est politique et se réunir dans un engagement collectif pour agir… c’est ainsi que noues construisons un mouvement.