Noues sommes heureuses de publier une traduction de ce podcast avec Faika El-Nagashi, députée autrichiennes les Verts et militante lesbienne, et Julie Bindel pour la Journée de la Visibilité Lesbienne. Traduction par Sarah (et DeepL).
« Le jour du lancement de The Lesbian Project [Le Projet Lesbien], je m’entretiens avec Faika El-Nagashi, membre du conseil consultatif, sur l’état du militantisme lesbien et la véritable signification de l’intersectionnalité :
Bonjour, c’est Julie Bindel, et aujourd’hui j’ai le plaisir de m’entretenir avec Faika El-Nagashi. Faika est une femme politique autrichienne du parti des Verts, elle est d’origine hongroise et égyptienne, c’est une activiste et une fière membre du tout nouveau Lesbian Project, fondé par moi-même et Kathleen Stock, avec une marraine emblématique, Martina Navratilova.
Julie : Faika, tu es l’une de nos éminentes conseillères dans The Lesbian Project. Et ce que j’aimerais faire, c’est te poser des questions sur toi, sur toi avant de devenir politicienne et sur ton militantisme politique, qu’est-ce qui t’a amenée à vouloir représenter ton parti ?
Faika : J’ai l’impression d’avoir toujours été une militante, et une militante politique. Presque depuis que j’ai pris conscience de moi-même et de ma place dans le monde. Je me suis rendue compte que j’étais lesbienne vers l’âge de 17 ans, lorsque j’ai pu mettre un nom sur mon homosexualité et que je l’ai vaguement comprise. J’étais encore à l’école et lorsque j’ai commencé à aller à l’université, j’ai déménagé à Vienne, [avant] nous vivions dans un petit village. Lorsque je suis arrivée à l’université pour étudier, il y avait tant d’opportunités, tant de groupes, tant de choses qui se passaient, et j’ai commencé à m’impliquer dans le syndicalisme étudiants. Très jeune, à l’âge de 19 ans, je suis devenue la première responsable du tout nouveau département des affaires homo, bi et transsexuelles de l’association des étudiants de l’université de Vienne. C’est ainsi que j’ai plongé, avant d’avoir étudié quoi que ce soit, avant d’avoir expérimenté quoi que ce soit, dans le militantisme, et j’ai grandi avec lui, et c’est ce que j’ai appris avant même d’avoir obtenu un diplôme. C’était au niveau du syndicat étudiant et au niveau national, et très vite, quelqu’un est venu me voir et m’a dit « il y a cette conférence et tu dois y aller, et c’est une conférence organisée par une organisation appelée IGLYO [International Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer & Intersex Youth and Student Organization], ils sont géniaux et tu dois y être ». J’y suis donc allée et nous étions cinq à venir d’Autriche. Dans mon contexte, au sein du syndicat étudiant, nous étions très arrogants et ignorants de tout. Mais ce que j’ai vu ensuite, ce sont tous ces autres militants d’autres pays, d’autres contextes politiques, d’autres contextes nationaux, mais aussi tant d’enjeux et d’identités qui se croisent, et cela m’a parlé et m’a vraiment fait réfléchir et m’a impliquée, et m’a donné envie de m’impliquer davantage et de m’immerger. À la fin de la semaine de conférence, l’un des organisateurs est venu me voir et m’a dit : « Il y a cette autre conférence qui sera organisée par une autre organisation avec laquelle nous travaillons occasionnellement et qui s’appelle « Jeunes femmes issues de minorités » et nous pensons, nous croyons que cela pourrait t’intéresser et nous soutiendrions ta participation, voici une lettre de soutien si tu souhaites déposer ta candidature et y aller ». C’est ainsi que je suis passée à d’autres contextes de militantisme axés sur la participation des femmes et en particulier des jeunes femmes, puis à d’autres contextes liés aux minorités, à des organisations telles que « Minorités d’Europe » qui ont lancé le slogan « tous différents, tous égaux » dans les années 90. Nous avons également collaboré avec des organisations telles que « Interface » ou « Human bridges », qui s’occupaient de la situation des personnes handicapées. Mon militantisme s’est donc développé au fur et à mesure que je grandissais dans tous les sens du terme. C’était mon monde et le monde dans lequel j’évoluais, y compris au niveau national. J’ai eu la chance de pouvoir entrer dans un monde professionnel similaire, en commençant mon premier emploi dans une organisation de femmes migrantes où j’ai travaillé pendant 11 ans. J’y ai exploré de nombreuses questions, un peu moins d’un point de vue militant, beaucoup plus d’un point de vue d’une ONG établie, mais j’ai beaucoup appris et j’ai aussi appris de mes collègues, des femmes avec lesquelles je travaillais, dans un espace et un environnement où nous pouvions non seulement faire notre travail, mais aussi comprendre le monde dans lequel nous vivons, en tant que femmes et en tant que femmes migrantes elles-mêmes.
J: Tu viens d’utiliser le mot « intersectionnalité », ce que tu as dit à propos des enjeux qui se croisent, et c’est vraiment intéressant parce que certaines d’entre nous, et je sais que tu en faites partie, ont décortiqué la redéfinition du terme « intersectionnel « , qui a été vidé de son sens, à mon avis, J’aimerais te poser une question à ce sujet. Par intersectionnalité, bien sûr, que tu as décrite, tu parles de l’oppression des femmes et de la manière dont elle diffère, ainsi que des problèmes supplémentaires auxquels sont confrontées, par exemple, les femmes migrantes et les femmes demandeuses d’asile. Dis-moi ce qui, pour toi, est important dans le maintien de la véritable définition de termes tels que l’intersectionnalité.
F: C’est un aspect tellement important de ma vie, de mes expériences, de mon identité et je pense que c’est une catégorie d’analyse politique pertinente parce qu’elle examine différentes formes d’oppression. Par exemple, avec beaucoup de mots, comme tu le dis, il y a aujourd’hui un manque total de sens. Les mots sont simplement utilisés, je veux dire que même le mot “lesbienne” est utilisé de manière aléatoire, quiconque en a envie ou veut s’identifier comme tel est le bienvenu, et ce n’est pas le seul mot. L’intersectionnalité est donc devenue un slogan pour le féminisme des réseaux sociaux et je n’abandonnerai ni le mot ni le concept parce que d’autres l’utilisent d’une manière qui ne lui rend pas justice. Je pense qu’il est extrêmement important d’être consciente qu’en regardant tout cela en même temps, nous ne créons pas une hiérarchie, ni des identités, ni des formes d’oppression. Je ne serais même pas capable de le faire avec moi-même et de créer une hiérarchie de mes propres identités. Mais c’est ce que c’est devenu, c’est devenu une arme et un outil, c’est donc très malheureux, mais j’espère et je crois que si certaines restent attachées au mot et communiquent ce qu’il signifie et représente pour elles, cela permettra à d’autres de l’utiliser également de cette manière.
J: Nous avons donc besoin que les gens s’expriment, nous avons besoin que les lesbiennes, les femmes racisées s’expriment, nous avons besoin de celles qui trouvent que leur mouvement ou leurs problèmes sont transformés et perdent tout leur sens. Et toi et moi n’avons pas le même âge, je crois que tu as 46 ans et moi 60, n’est-ce pas ?
F: Oui
J: Nous n’avons donc pas tout à fait une génération d’écart, mais ces 14 ans en années lesbiennes sont en fait assez significatifs, et je repense à la toute première conférence lesbienne internationale à laquelle j’ai assistée, avant les téléphones portables, avant les appels téléphoniques bon marché, avant les voyages bon marché, en prenant le train pour Genève, un long voyage en train, pour assister à une conférence organisée par, je crois qu’elless’appellaient quelque chose comme Strawberry and Vanilla, en tout cas, un groupe de lesbiennes qui ont mis sur pied un événement extraordinaire. Nous dormions dans des bunkers nucléaires, ce qui n’a pas plu à certaines militantes de Greenham Common, qui ont même fait des graffitis sur ces bunkers, qui appartenaient au gouvernement mais elles s’en moquaient, il y avait des tas d’anarchistes qui volaient à l’étalage à l’heure du déjeuner. Elles étaient offensées par le fait que Genève était un endroit si riche. Mais nous avons passé des moments extraordinaires parce que nous parlions en tant que lesbiennes des problèmes auxquels nous étions confrontées. Il y avait de nombreuses femmes d’Espagne, d’Europe du Sud et de l’Est, qui discutaient des questions qui nous unissaient et nous divisaient, et nous avons découvert quelque chose de vraiment très important, qui reste vrai aujourd’hui, à savoir que nous pouvons nous battre comme chat et chien, nous pouvons nous disputer à propos de presque tout, mais ce qui nous unit, c’est notre courage, toutes les lesbiennes qui sont sorties du placard sont courageuses. Et aussi le fait que nous sommes, même si nous n’utilisions pas ce terme à l’époque, non-conformes au genre, en d’autres termes, nous avons rejeté les stéréotypes de sexe. Et c’est assez étonnant, n’est-ce pas ?
F: Oui, absolument. Je veux dire que c’est merveilleux, exactement ce que tu as mentionné, d’être capable de trouver des similitudes avec d’autres femmes dans des contextes totalement différents ou même d’âge différent et d’être capable de se rapporter à elles à un niveau si profond et si proche et en même temps d’être capable de comprendre et de soutenir nos différences. Cela a été une expérience merveilleuse pour moi, de trouver ce type de communauté intergénérationnelle, transnationale et intersectionnelle, d’avoir une communauté dans laquelle nous ne sommes pas toutes des étudiantes, par exemple. Nous ne sommes pas toutes des universitaires et il y a des femmes ordinaires qui ont un emploi, qui viennent du monde du travail et qui ont leur propre argent, d’autres qui ont été en prison, d’autres qui ont eu des enfants, qui ont été mariées et qui vivent maintenant seules avec leurs enfants devenus adultes. Il y avait donc tellement de façons différentes d’être que c’était très enrichissant, et de voir que toutes ces façons de vivre étaient une option, pour moi, et d’avoir cette diversité dans une communauté qui est en processus de guérison à bien des égards et qui permet aussi de créer des liens, bien que tout le monde ne soit pas obligé de se lier à tout le monde bien sûr, mais on trouve vraiment celles avec qui on est les moins susceptibles de former un lien
J: Oui, j’ai envie de dire, et je suis sûre que les lesbiennes qui écoutent ceci, dans le monde entier je l’espère, comprendront, qu’il y a eu beaucoup de rapprochement lors de cette conférence de lesbiennes à Genève. Et ce que je pense des lesbiennes, c’est que celles que je rencontre dans le monde entier, et j’ai la chance de voyager dans des pays et des régions comme l’Ouganda, où j’ai parlé aux mères du mouvement de libération des lesbiennes et des gays, qui risquent bien sûr d’être emprisonnées, sont tellement drôles. Elles sont si dynamiques sur le plan politique. Et bien sûr, notre oppression, même si nous préférerions qu’elle n’existe pas, a façonné notre identité sur une approche “pas de quartier”, nous refusions souvent, mais pas toujours, d’accepter un compromis. Je pense personnellement, et je ne sais pas ce que tu en penses Faika, mais je pense que c’est ce qui sépare les lesbiennes qui luttent dans le mouvement, pour notre libération, des hommes gays qui luttent dans le mouvement, souvent ils demandent l’égalité ou la tolérance, et j’ai trouvé que les lesbiennes sont plus susceptibles d’exiger la libération et quelque chose de plus. L’égalité est une sorte de, quel est le mot, ce n’est pas vraiment une demande aventureuse, un projet.
F: Beaucoup de lesbiennes ne se sentent pas en sécurité, ne se sentent pas en sécurité pour vivre leur vie comme elles le voudraient, d’une manière séparatiste très lesbienne, c’est-à-dire sans les hommes, sans les hommes mais toujours avec de l’autodétermination, en autonomie. Dans cette société, il s’agit d’une transgression. Et pour comprendre à quel point c’est transgressif, il ne s’agit pas d’une transgression similaire pour les hommes homosexuels qui disent qu’ils veulent vivre leur vie sans les femmes, dans cette société. Mais pour les femmes de cette société, dire qu’on refuse que les hommes aient une quelconque influence sur nous, c’est transgressif. Et aussi, l’égalité dans quel sens ? L’égalité qui ne change pas le statu quo est une égalité qui ne vaut pas grand chose car ce statu quo est trop mauvais pour être un objectif.
J: Exactement, et à quoi serions-nous égales ? Et quand les gens disent « vous voulez juste être comme les hétérosexuels, il n’y a pas de différence », et je l’ai vécu, en tant que lesbienne de 60 ans qui est sortie du placard depuis les années 1970, je ne peux pas te dire combien de fois on m’a dit « vous avez les mêmes droits, vous devriez être traitées de la même manière que les hétérosexuels, vous êtes juste comme eux », ce qui a amené les gens à dire, en toute bonne foi, ils ne pensaient pas nous insulter, à dire des choses comme « qui est l’homme dans la relation ? » ou même, et ça ce n’est pas bien intentionné, « comment diable le faites-vous? », c’est-à-dire sans pénis. Tous ces types de suppositions et d’insultes nous sont adressées en raison de cet état d’esprit qui, je pense, est en partie lié aux préjugés anti-gays et anti-lesbiennes et en partie à la capitulation de certains gays, pas tous, mais certains gays réformistes, selon lesquels nous voulons juste être comme les hétéros, nous voulons juste avoir ce qu’ils veulent, mais la seule différence est qu’il y a une bizarrerie dans nos gènes qui fait que nous sommes attirées par les personnes du même sexe. Pour moi, les possibilités sont bien plus vastes que cela, et je suis très fière d’être lesbienne.
F: Absolument, mais je pense aussi que cette approche ne tient pas compte de la société dans laquelle nous vivons. Car, oui, bien sûr, nous pouvons dire que dans la plupart des pays occidentaux, l’égalité existe, qu’il y a de bonnes dispositions légales, qu’il y a une législation anti-discrimination et que l’acceptation en général des homosexuels est, comparativement, élevée ou plus élevée. Mais je pense que cela ignore totalement les assignations, tout d’abord envers les femmes, les attentes en matière de rôle, mais aussi envers le corps des femmes, et aussi tout ce qui présente le corps, donc les vêtements, l’habitus, sont régis, et la manière dont cela est ancré dans notre société. Ainsi, pour une lesbienne, transgresser tout cela, ou une partie de cela, la met en danger, croncrètement, et à plusieurs niveaux. Je pense que beaucoup d’entre nous, je ne sais pas ce qu’il en est pour toi, mais beaucoup d’entre nous comprennent cela très tôt, à un très jeune âge, et comprennent non seulement le danger mais aussi un autre aspect qui l’accompagne, à savoir la honte, la honte d’être celle qui transgresse ce rôle, qui n’est pas la femme qu’elle est censée être dans cette société, ou que la famille s’attend à ce qu’elle soit. Il est presque impossible de grandir dans cette société sans cet élément de honte. Et cet élément se reproduit ensuite pendant toute la vie. Tu as mentionné les lesbiennes qui ne se conforment pas aux stéréotypes de sexe, elles ne sont souvent pas vues d’un très bon oeil partout. Et même je suis plus âgée que les jeunes d’aujourd’hui, j’ai eu tellement de moments où j’ai ressenti cela, c’est partout. Je veux dire qu’aujourd’hui, je suis une femme politique, je suis exposée, je dois réfléchir à la façon dont je m’habille, à la façon dont je me présente, à la façon dont je me coiffe, c’est politique bien sûr et c’est une certaine représentation. Et je comprends comment le regard qui est dirigé sur moi me voit et me classe, et cela touche à ces éléments liés à la honte, même si j’en fais aussi une fierté. Mais je pense que c’est ce qui arrive aux lesbiennes, jeunes et moins jeunes, et c’est pourquoi je pense qu’il est si important d’avoir cette positivité, d’avoir la joie, le bonheur, d’être véritablement dans une optique d’acceptation et de reconnaissance au sein de nos communautés, dans le cadre du travail que nous faisons, en particulier venant des modèles que nous avons.
J: Je pense qu’il est essentiel que tu parles de la honte. Il est certain que j’ai ressenti cette honte au fil des ans, parfois de manière très surprenante, alors que j’ai été out pendant tout ce temps. Je suis tellement heureuse d’être lesbienne que je ne peux pas imaginer ce que la vie aurait été pour moi si je n’avais pas été lesbienne. Mais la honte est vraiment importante lorsque nous parlons de fierté, car aucun mouvement de justice sociale sur la planète ne développe un sentiment de fierté collective s’il n’y a pas eu de honte. C’est une réponse à la honte
F: C’est vrai, oui
J : Et c’est ce que nous apportons, je l’espère, aux autres lesbiennes, à celles qui sont sorties plus tard dans la vie, aux jeunes lesbiennes, bien qu’elles puissent rejeter ce que nous sommes, ce que nous représentons, certains de nos positionnement, mais en fait je pense que c’est le fil rouge, c’est le fil qui traverse les générations de lesbiennes. Martina Navratilova, notre mécène pour The Lesbian Project, a été la première lesbienne déclarée que j’ai vue sur mon écran de télévision, je me suis sentie « oh mon dieu, je peux dire à mes parents, « regardez, c’est une lesbienne, c’est ce que je suis ».
F: Oui, j’étais probablement tout autant enthousiasmée par quelqu’une comme KD Lang, qui est entrée dans mon écran et qui était une femme aux cheveux courts et avait une manière incroyable de porter une chemise, j’ai senti que ce n’était probablement pas approprié de ressentir ce que je ressentais alors que j’étais assise dans le salon avec mes parents. Mais le fait d’avoir cette image et de voir quelqu’une qui ose se montrer ainsi au grand public était merveilleux, et uniquement positif. Parce que je pense que cette honte est en grande partie due au fait que nous essayons de cacher certaines parties de nous-mêmes, et qu’elle concerne aussi les vêtements, les coupes de cheveux, la façon dont nous voulons apparaître. Et dans une communauté, que ce soit lors de conférences, au bar ou dans n’importe quel contexte social, pouvoir complimenter d’autres femmes lesbiennes sur leur belle chemise, leur beau tailleur, leur coupe de cheveux parfaite, c’est absolument l’inverse à ce qui se passe dans la société en général, où tout le monde pense pouvoir faire des commentaires à propos des mêmes choses mais avec des intentions différentes, « Pourquoi ne t’habilles-tu pas plus comme une femme ? », « Pourquoi n’essaies-tu pas de porter une robe ? », « Pourquoi ne laisses-tu pas pousser tes cheveux plus longtemps ? ». C’est donc tout l’inverse, sur une base de valorisation et d’acceptation.
J: Parlons un peu de ton travail politique, car tu représentes le parti des Verts en Autriche, tu es originaire de Hongrie et ton monde politique, ton militantisme, semble traverser de nombreuses frontières. Mais parle-moi un peu de ce que c’est que d’être membre et représentante du parti des Verts à Vienne.
F: Au début, mon entrée en politique s’est faite de manière plus accidentelle que planifiée. Je n’avais pas de plan à court ou à long terme pour entrer en politique, mais j’ai fait ce que j’aimais faire, c’est-à-dire du militantisme politique, du travail politique au niveau des ONG. J’avais alors environ 15 ans d’expérience dans des contextes d’ONG, et la dernière chose que j’ai faite avant d’entrer en politique a été d’aller à Bruxelles, et de travailler avec ILGA Europe [section européenne de l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexuées]. À ce moment-là, j’ai pensé que j’avais trouvé le travail de mes rêves. Tout le militantisme que j’ai mené à 19 ans, tous les groupes LGBTIQ que j’ai fondés et dans lesquels j’ai travaillés, toutes les réflexions que j’ai menées sur ces questions m’ont amenée à me dire : « Ne serait-il pas génial si je pouvais faire de ce militantisme un travail, non pas au sein de l’organisation de jeunesse IGLYO, mais au sein de l’organisation mère, ILGA ?” J’étais donc à Bruxelles, dans mon job de rêve, et je n’étais pas si heureuse de mon rêve. À mon retour à Vienne, je me suis demandée quelle était la suite. Qu’est-ce qu’on fait quand on a le job de ses rêves et qu’il s’avère que ce n’est pas le bon, qu’est-ce qu’on fait après ?” Il y avait une offre d’emploi pour devenir membre du personnel des Verts et j’étais très hésitante à me lancer dans la politique partisane, je n’étais pas du tout intéressée avant cela. Mais je me suis également dit que j’avais fait l’expérience des limites de ce que l’on peut faire au niveau des ONG, qu’il n’y avait pas grand-chose à faire de plus et qu’en fin de compte, on se retrouvait toujours empêtrées dans de nombreuses dépendances, qu’il s’agisse de l’argent, des ressources que l’on reçoit, mais aussi au niveau politique, où ceux qui décident de l’argent que l’on reçoit veulent que l’on soutienne leurs positions politiques ou du moins que l’on ne dise pas le contraire. J’étais très frustrée par cette situation et je me suis dit que c’était peut-être différent en politique, à ce niveau de la politique, et que si cela ne me parlait pas, je pourrais toujours partir. Et c’est comme ça que je me suis motivée à essayer, à faire un essai, et bien sûr j’étais motivée par les sujets sur lesquels je travaillais qui étaient importants pour moi, beaucoup de questions intersectionnelles, les droits des femmes, les droits des femmes migrantes, et puis cela m’a amenée à me concentrer sur l’intégration et les politiques d’intégration plus spécifiquement et c’est comme ça que je suis devenue la porte-parole pour l’intégration au niveau régional d’abord et maintenant aussi au parlement depuis 2019 en tant que membre du parlement, pour travailler sur l’intégration. Il s’agit donc de beaucoup de choses qui me passionnent et sur lesquelles je pense avoir travaillées à un niveau différent du point de vue des ONG ou de la société civile, et maintenant je peux essayer de voir quelles sont les options qui s’offrent à moi pour apporter un changement à ce niveau politique.
J: Parle-moi de la façon dont tu envisages l’évolution du militantisme lesbien, où, à mon avis, il y a actuellement un retour de bâton contre le mot et le concept que nous sommes des femmes attirées par le même sexe, où nous avons été englobées dans une soupe alphabétique que mon ami Simon Fanshawe a décrite comme étant plus un code wifi incassable qu’un acronyme de LGBTQQIA2Spirit+. Il semblerait que nous nous soyons noyées dans cette soupe, et nous avons des besoins très spécifiques auxquels nous devons répondre, c’est pourquoi nous avons mis en place The Lesbian Project. Comment vois-tu notre avenir, tout en continuant à soutenir nos frères homosexuels par exemple, tout en conservant cette approche intersectionnelle, mais en disant également que « les lesbiennes méritent une attention particulière » ?
F: Oui, c’est quelque chose que je ne comprends vraiment pas, pourquoi il n’est pas possible de faire quelque chose avec un objectif spécifique pour un groupe spécifique à certains moments, et à d’autres moments de se réunir et de faire quelque chose en collaboration. Dès les premières conférences auxquelles j’ai assistées, qui étaient toujours, ou pour la plupart, mixtes d’une manière ou d’une autre, nous avons toujours dû nous battre pour avoir un créneau dans une conférence, peut-être un atelier ou une soirée, où nous aurions une réunion réservée aux femmes. Ce n’est donc pas une nouveauté à laquelle je suis confrontée, car à l’époque, il n’y avait aucune compréhension de pourquoi voudrait-on se réunir dans une conférence mixte où il y a des lesbiennes et des gays et potentiellement aussi des bisexuels et des personnes inter et trans, “c’est une conférence mixte, pourquoi voulez-vous vous réunir uniquement entre femmes ?”. Nous avons toujours dû nous battre à l’époque, mais aujourd’hui je trouve que c’est devenu encore plus étriqué parce que lorsque tu me demande mon avis sur le militantisme lesbien et sur la direction qu’il prend, je ne vois pas du tout le militantisme lesbienne prendre une direction quelconque. Je ne vois rien qui se manifeste en termes de militantisme lesbien. Aujourd’hui, parler des enjeux des lesbiennes et dire “lesbienne”, ne pas utiliser une autre expression comme “femmes queer” par exemple ou un autre terme plus large qui devrait être tellement inclusif, même dire “lesbienne”, et surtout le dire sans ajouter un astérisque quand on le pense ou le dit ou l’écrit, est un acte de rébellion. C’est comme si nous étions de retour à la case départ, dire “lesbienne” sans honte et sans excuses, ne pas s’excuser de vouloir quelque chose et de faire quelque chose, je ne dirais pas seulement, mais pour les lesbiennes, point final. Et ce n’est pas quelque chose qui existe vraiment, sauf peut-être dans des contextes féministes radicaux autonomes séparatistes plutôt petits, où elles le font et osent le faire. Mais à part cela, dès que vous ajoutez l’astérisque, cela ressemble d’abord à une déclaration de mode, ou à quelque chose à porter pour vous rendre 2.0, ou peut-être 4.0 maintenant. Et pour rendre plus conforme à TikTok ou attrayante sur les réseaux sociaux. Mais quand on y regarde à deux fois, il est vraiment douloureux de voir que “lesbienne” ne peut pas être un mot autonome et ne peut pas être un combat ou un mouvement autonome, une identité qui est suffisante et avec du contenu, et qui a pleinement le droit d’exister.
J: Dis-moi donc comment on va de l’avant, car tu as plusieurs cordes à ton arc, tu es une femme politique, une militante, une ambassadrice de The Lesbian Project, une membre du conseil consultatif, et tu asaussi beaucoup d’autres choses à faire, des campagnes à lancer, dans lesquelles tu dois t’investir. Sur quoi vas-tu te concentrer pour aller de l’avant ? Parce que je sais que nous avons toutes des priorités différentes à des moments différents, à des moments différents de notre vie, quelle est la tienne aujourd’hui ?
F: Eh bien, je suis nouvellement motivée pour mettre mon énergie dans ce type de militantisme. Ce n’est pas tout à fait du militantisme , car je comprends qu’en ce moment, mon rôle de femme politique est définit plus fortement qui je suis mais je pense que c’est aussi ce dont nous avons besoin. Ce dont nous avons besoin, c’est de moi en tant que femme politique, et non pas de moi en tant que militante pour l’instant. Je veux donc utiliser cette voix que j’ai en tant que femme politique, mais je veux aussi encourager les autres à s’exprimer, parce que ce dont nous avons vraiment besoin, c’est d’un grand nombre de voix qui disent ce qu’elles pensent, ce qu’elles croient et ce qui les motive. J’ai trouvé cela très difficile l’année dernière lorsque j’ai parlé, dans certaines interviews, de ce qui se passe aujourd’hui au niveau du discours, du langage, à propos des femmes et aussi des lesbiennes, mais je parle plus des femmes, et en termes d’identités, et aussi en termes de dynamiques sous-jacentes à ce phénomène, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une manifestation très dogmatique et totalitaire de quelque chose qui se nomme une communauté. C’est ce dont j’ai parlé dans les entretiens et ce qui s’est passé, c’est exactement cela : j’ai fait l’expérience du dogmatisme et du totalitarisme de ma communauté ou de mes communautés, qui m’ont ostracisée pour m’être manifestée, ou pour avoir fait mon coming out comme je le dis parfois, ça a été mon coming out le plus difficile, à alors 45 ans, de tout bonnement entrer dans la dissidence.[Et de dire] voilà ce que je crois, avec toute l’intégrité que j’apporte à la table et avec tous les antécédents de collaborations politiques, d’initiatives que j’ai prises et de relations personnelles que j’ai, mais c’est ce que je crois. Et manifester cela était une hérésie, comme tant d’autres l’ont vécu, je l’ai également vécu. Mais ce qui a été très difficile pendant tout ce temps, c’est qu’il m’a manqué d’autres personnes se manifestant publiquement pour me soutenir ou pour soutenir ce que j’avais dit. Cet isolement a été très difficile pour moi, mais il n’a aussi pas aidé la cause. Ce que j’essaie de faire maintenant, c’est de soutenir les autres et de leur donner les moyens de se manifester, de parler et d’oser, d’avoir le courage mais aussi le contexte dont elles ont besoin, parce qu’on a besoin d’un certain niveau de soutien pour pouvoir se montrer et supporter ce que cela implique pour soi d’être vue, d’être vue peut-être, disons, comme une lesbienne dissidente. C’est donc une chose et l’autre chose est que j’essaie toujours d’être aussi visible et franche que possible en tant que lesbienne. Donc, ne pas reculer, toujours revendiquer et me réapproprier ce mot et cette catégorie pour moi et l’incarner. Je regarde vraiment dans deux directions, je veux tendre les bras dans deux directions, d’abord vers les plus jeunes, pour établir un lien avec les plus jeunes qui vivent aujourd’hui des choses très différentes, presque impossibles à imaginer pour moi, à l’université, à l’école, sur le lieu de travail, et ensuite vers les plus âgées, pour rétablir ce lien qui était si présent et si précieux lorsque j’étais plus jeune, et je pense que cela apporte un soutien à un niveau très différent, où l’on peut presque se comprendre sans avoir besoin de beaucoup de mots.
J: Faika, ce fut un immense plaisir de te parler, d’entendre parler de tes initiatives, de pouvoir imaginer la suite, et je suis si fière de travailler avec toi dans The Lesbian Project et de te connaître. Merci énormément pour tout ce que tu fais.
F: Merci infiniment
J: Je vous remercie de m’avoir écoutée et j’espère que vous suivrez le travail et les accomplissements de The Lesbian Project. A la prochaine!