Trumpisme, « Anti-wokisme »: ne pas tomber dans le panneau

Pourquoi les féministes critiques du genre ne doivent pas tomber dans le panneau de la revanche réactionnaire qui vient.

L’extrême-droite met tout dans un même panier nommé « wokisme » mais il est possible de rejeter le transactivisme sans jeter par la fenêtre le féminisme et l’anti-racisme.

Si de nombreuses féministes et lesbiennes ont été diabolisées et persécutées ces dernières années par la version queer du patriarcat de gauche, il ne faut pour autant pas oublier que c’est le patriarcat « classique » de droite qui a fondé les structures anti-femmes des sociétés occidentales et que c’est ce patriarcat-là qui est largement dominant et au pouvoir, à la maison, dans de nombreux métiers, et en politique.

Les féministes critiques du genre ont fait un énorme travail d’identification des techniques de manipulation des hommes de gauche, et cela était (et reste) nécessaire. Toutefois, nous n’attaquons pas le système de violences misogynes et sexuelles si nous tombons dans le panneau de la manipulation par les hommes de droite: comme leurs frères ennemis de gauche, ils sont aussi des agresseurs qui tentent de se faire passer pour des victimes.Les luttes féministes et anti-racistes sont présentées comme étant allées « trop loin » car « on ne peut plus rien dire maintenant ». Les violences sexuelles subies par des femmes victimes d’hommes racisés sont instrumentalisées pour justifier un agenda global de retour à l’ordre de la suprématie blanche la plus totale, tout en présentant les hommes blancs comme moins dangereux. Les féministes sont sommées de dire que l’extrême-droite a raison sur l’immigration dès qu’une femme est victime d’hommes racisés, mais elles sont sommées de fermer leur gueule quand leur dénonciation porte aussi sur les hommes blancs « bien français ».

Rappelons-nous pourquoi nous sommes critiques du genre

« La misogynie existe sur un spectre allant de ceux qui savent ce qu’est une femme afin de la priver de ses droits à ceux qui ne savent pas ce qu’est une femme afin de l’empêcher de se battre pour ses droits » (@wundertussi)

Alors même que Trump est en train de faire passer des lois revenant sur plusieurs victoires du transactivisme, il vient également de rendre caduques toutes les protections contre les discriminations au travail, incluant celles qui concernait les femmes en général, les femmes enceintes, les lesbiennes, et toutes les femmes racisées. Il vient de s’exprimer à la marche chrétienne intégriste « pro-Life » en disant qu’il « défendrait fièrement la vie et la famille ». Sans parler du climat politique par lequel, en effet, de nombreux misogynes et homophobes qui se cachaient derrière une opposition « rationnelle » aux dérives du transactivisme se sentent enfin autorisés à attaquer les véritables cibles de leur haine: l’homosexualité et la liberté des femmes.

Face à la transition croissante des filles et des femmes (selon The Times, le nombre d’enfants diagnostiqués de dysphorie de genre a été multiplié par 50 entre 2011 et 2021 au Royaume-Uni), nous devons nous rappeler qu’en tant que féministes nous ne opposons pas au transactivisme car il serait dérangeant de voir des hommes en jupe et que cela menacerait la « famille nucléaire ».

Nous combattons le transactivisme car les lesbiennes et les féministes ont été les premières cibles de ce masculinisme, nos espaces ont été détruits, et la possibilité même de lutter en non-mixité contre notre oppression a été quasiment annihilée en quelques années. C’est bien contre la misogynie et la lesbophobie que nous combattons. Une solution purement législative basée sur la coopération avec la droite et l’extrême-droite n’apportera aucune solution au mal-être que de nombreuses filles ressentent dans une société misogyne voulant les mettre dans les cases « bonne à marier » ou « bonne à baiser ». Également, on ne combat pas la lesbophobie du transactivisme en renforçant le camp politique réactionnaire qui est offensé sous prétexte de « droits des enfants » dès qu’il y a des représentations culturelles d’homosexualité alors qu’ils poussent eux-mêmes au quotidien le modèle de la famille hétérosexuelle.Le bien-être des filles lesbiennes ne sera pas assuré par les réactionnaires juste parce qu’ils passent des lois contre les « transitions de genre » tout en espérant que les enfants concernés reviennent dans le « droit chemin » de la « normalité » hétérosexuelle. Les conservateurs se donnent à coeur joie de présenter aux filles et femmes qui détransitionnent le modèle de la fille qui « revient à la raison et épouse enfin sa féminité » en portant du maquillage, des talons et en sortant avec des hommes. C’est le contraire de la libération pour les lesbiennes et toutes les femmes. On passe d’un carcan patriarcal à un autre. Voici des exemples de mesures qui aideraient véritablement les filles et les femmes lesbiennes et qu’aucun gouvernent de droite et d’extrême-droite favoriseraient:

> créer partout sur le territoire des espaces et de centres pour les lesbiennes et toutes les femmes

> des cadres législatifs et pratiques luttant sérieusement contre tous les types de lesbophobie

> la promotion de la culture lesbienne sans honte ni assimilation forcée au modèle hétéro

> des thérapies prenant en compte les effets psychologiques profonds des pression à l’hétérosexualité et des traumas liés aux violences misogynes et lesbophobes.

Etc. etc.

Rien de tout de tout cela n’est idéaliste ou utopiste. Ce sont après tout des demandes réformistes. Mais c’est déjà trop pour une société misogyne et lesbophobe donc, par « facilité » et volonté individuelle de pouvoir social et politique, certaines préfèrent donner des forces aux conservateurs et réactionnaires qui ne cachent pas leur volonté de retour à l’ordre de la « famille traditionnelle ». Les individues qui s’allient avec eux ont une véritable responsabilité dans l’entrisme agressif de l’extrême-droite dans les luttes féministes et dans le fait qu’elle se donne une image « féministe » en reprenant des arguments directement fournis par ces mêmes individues anciennement féministes.

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