Article écrit par Phyllis Chesler initialement publié ici le 28/03/2022. Traduction par Julie et Edet, coordonnée par Résistance Lesbienne.
En tant que femmes féministes, nous savions que nous étions condamnées sans la sororité, alors nous la proclamions, même en son absence.
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Vous ne pouvez ni défendre vos positions, ni aller de l’avant sans amies et alliées féministes.
Les féministes de ma génération se sont entraidées comme personne d’autre ne l’a jamais fait ni ne pourra le faire.
Ensemble, joyeusement, nous avons fait un saut quantique de la conscience. Beaucoup d’entre nous avions foi en notre propre rhétorique extatique : nous étions « sœurs ». J’y croyais sûrement. Nous avions compris combien les femmes étaient importantes les unes pour les autres en termes d’intimité émotionnelle. Nous commencions également à comprendre que nous devions encourager l’audace et la rébellion chez les autres femmes, en partie en devenant nous-mêmes audacieuses.
Nous y sommes parfois parvenues ; le plus souvent, nous avons échoué.
Cela reste à accomplir.
J’en attendais tellement des autres féministes – nous le faisions toutes – que les déceptions les plus ordinaires étaient souvent vécues comme des trahisons majeures. Nous en attendions moins des hommes et nous leur avons pardonné, plus d’une fois, lorsqu’ils nous ont déçues. Nous attendions beaucoup plus des autres femmes qui, paradoxalement, avaient moins (de pouvoir) à partager que les hommes. Nous n’osions pas entretenir envers les hommes la même rancune que celle que nous avions envers les autres femmes. Nous n’en étions pas toujours conscientes.
Soyez conscientes de ces doubles standards tacites. Essayez de vous comporter de manière plus impartiale que nous l’avons fait.
En tant que femmes féministes, nous savions que nous étions condamnées sans la sororité, alors nous l’avons proclamée, même en son absence. Nous voulions la faire exister, verbalement, sans pour autant lutter pour son existence. Nous ne comprenions pas que la sororité que nous proclamions avec tant d’ardeur n’était, comme la fraternité, qu’un idéal, pas encore une réalité, que nous devions créer la sororité, quotidiennement, contre vents et marées.
En tant qu’individues, la plupart des femmes que je connaissais étaient incapables « d’aimer nos sœurs comme nous nous aimions nous-mêmes ». Nous ne nous aimions pas assez.
C’était également vrai pour les femmes antiféministes.
C’est un mythe que les femmes sont plus « pacifiques » ou « compatissantes » que les hommes. Les femmes, comme les hommes, sont dures envers les femmes. Comme tout le monde, les féministes de ma génération n’ont pas automatiquement accordé leur confiance ni leur respect aux femmes. Nous pensions que nous devions le faire. Nous disions le faire. Cependant, notre besoin de croire en dépit du contraire que nous étions moins haineuses envers les femmes que le reste de la race humaine était regrettable.
En 1980, lorsque j’ai dit à mes amies que j’avais commencé à interviewer des femmes sur ce sujet précis, la plupart d’entre elles ont désapprouvé. Une leadeuse féministe m’a dit que « certaines de mes meilleures amies étaient des femmes ». (Oui, elle a vraiment dit ça.) Une autre leadeuse a dit : « J’ai eu une très bonne relation avec ma mère, donc ce que tu dis ne peut pas être vrai. » Une troisième leadeuse a dit que « les hommes vont utiliser cela contre nous, alors vous feriez mieux de ne rien publier ». Une quatrième a demandé, inquiète, « Allez-vous citer des noms ? »
« Citer des noms ? Je pourrais aussi bien publier l’annuaire téléphonique chaque année », avais-je répondu.
En l’espace d’une décennie – cela a pris du temps – ces mêmes féministes m’ont toutes demandé, à plusieurs reprises, où était mon étude, elles disaient qu’elles, que nous en avions besoin.
Ma génération féministe a surgi psychologiquement un matin, ou du moins c’est ce qu’il semblait, comme la déesse Athéna, nouvellement sortie du front de son père Zeus, nous nous sommes vues comme des « filles » sans mère.
Nous étions une horde de « sœurs ». Malgré nos âges très différents, psychologiquement, nous vivions dans un univers de paires du même âge. Nous ne connaissions pas d’autre moyen de rompre avec le passé. Il n’y avait pas de « mère » vivante qui évoluait parmi nous. Bien sûr, dans la vie réelle, certaines d’entre nous étaient des mères, certaines d’entre nous aimaient même leurs vraies mères, mais lorsque nous sommes entrées sur la scène de l’histoire, nous l’avons fait principalement en tant que filles/sœurs/soeurs rivales sans mère.
Psychologiquement, nous avions commis un matricide – l’équivalent de ce que, pour Freud, les fils font aux pères. Bien sûr, Freud s’est trompé, c’est l’inverse : les pères « tuent » leurs fils, sans quoi les fils continuent à avoir faim de l’amour de leur père et à faire de leur mère le bouc émissaire de son absence.
La plupart des filles féministes n’ont pas remarqué ce que nous avions fait, ni pourquoi. Beaucoup d’entre nous ont nié avec véhémence que c’était le cas : jusqu’à ce jour, certaines des voix les plus brillantes de ma génération féministe continuent d’adopter la voix de la Fille Ressuscitée, et non dans celle de la Mère-Enseignante.
Derrière les portes closes, nous nous sommes comportées envers les femmes comme la plupart des femmes : nous les envions, nous étions en compétition avec elles, nous les craignions et nous étions ambivalentes à leur égard ; nous les aimions aussi et nous avions besoin d’elles. Ma génération féministe a mangé ses leadeuses. Certaines féministes qui étaient vraiment douées pour cela sont ensuite devenues nos leadeuses.
J’ai vu les féministes se faire entre elles les mêmes choses que les antiféministes : séduire les petits amis ou les petites amies des unes et des autres, s’affronter sans cesse ou, ce qui est plus exaspérant, refuser de dire quoi que ce soit directement, ruiner la réputation des autres, ne jamais reconnaître l’avoir fait, transformer les rivalités personnelles en questions « politiques » exigeant que chacune choisisse son camp ou soit automatiquement considéré comme l’ennemie des deux camps.
Un comportement typique de sororité – à peine révolutionnaire. À maintes reprises, les féministes ont choisi une femme (pas un principe) plutôt qu’une autre et, une fois fait, elles n’ont souvent pas réussi à rappeler à leur soeur qu’elles avaient choisie de respecter certaines normes éthiques ou politiques. Si votre sœur plagie les œuvres des autres, et alors ? Si elle raconte des mensonges – qui s’en préoccupe ? Si elle commet des actes immoraux et illégaux, la sororité n’exige-t-elle pas une dissimulation ?
Nos adversaires patriarcaux masculins utilisaient la force brute et les armes à feu pour éliminer leurs concurrents. Les féministes ont parfois accompli cela psychologiquement, avec des mots seulement, en utilisant leurs pouvoirs de calomnie et de dénigrement.
Bien que nous aspirions à la sororité, nous n’avons fait que commencer le processus ; nous avons échoué dans sa mise en place.
Les féministes ne sont pas uniques ; ce comportement est typique de tout groupe opprimé. Par conséquent, vous devez agir avec générosité – et non avec envie. N’ostracisez pas la femme qui refuse de se plier à la ligne du parti, ou la femme qui est prête à mourir pour elle. Rappelez-vous : il est incroyable que les femmes se défendent ; nous ne sommes pas censées le faire. Respectez les autres féministes, mais ne les vénérez pas. Apprenez à reconnaître ce qu’est une secte et comment l’éviter.
Par exemple, certaines d’entre nous ont vénéré, plutôt que de devenir, les femmes que nous admirions le plus. Parfois, nous nous sommes retrouvées attirées par une féministe qui était assez violente envers les femmes. Nous croyions en son travail et souhaitions nous prélasser à la lumière de sa renommée ou de ses idées ; en tant que femmes, nous étions habituées à la gloire par association. Nous espérions peut-être aussi que si nous aimions et servions la Grande Dame suffisamment longtemps, elle deviendrait la mère, la sœur ou la fille que nous désirions avoir.
Sinon, nous faisions semblant qu’elle l’avait fait, ou nous la faisions payer d’une autre manière (les groupies se vengent toujours.) Toujours, nous utilisions notre association avec elle pour garder les autres femmes en admiration devant nous.
Essayez de ne pas répéter cette erreur.
Bien que je vous encourage à devenir une leadeuse dans au moins un domaine, laissez-moi être claire : il n’y a pas de honte à faire partie d’une équipe. Une féministe doit apprendre à faire les deux. Pas l’un ou l’autre : les deux.
Les féministes qui commettent des matricides psychologiques et les féministes qui forment des sectes ne sont pas des phénomènes mutuellement exclusifs. Les mêmes féministes qui ont formé des sectes autour de femmes traumatisées et rendues facilement dépendantes émotionnellement étaient aussi tout à fait capables de détruire des femmes plus indépendantes et moins traumatisées. Les femmes en groupes essaient souvent de détruire la spontanéité et la force des femmes ; les hommes en groupes essaient de détruire l’homme qui est considéré comme faible.
La fille en nous traite souvent une femme généreuse et talentueuse comme une ressource naturelle. Nous l’utilisons comme nous utilisons la Terre elle-même, et lorsque le puits est à sec, nous le jetons et partons à la recherche d’un autre.
La façon dont on se débarrasse souvent des mères. Comme je me suis débarrassée de la mienne.
Méfiez-vous de l’une des hypothèses les plus erronées de ma génération, à savoir qu’aucune compétence particulière n’est nécessaire pour accomplir une grande tâche. Il y en a – et vous devez développer ces compétences afin d’accomplir les vôtres.
Nous nous appelions « sœurs ». Ainsi, nous n’avions pas de vocabulaire pour les choses qui se passaient entre femmes, en dehors de nos réelles différences politiques. Les rancœurs se sont accumulées, puis ont explosé dans des confrontations émotionnelles sans merci. Finalement, les féministes ont commencé à s’affronter sur le racisme, l’homophobie, l’antisémitisme, voire le classisme – un véritable impensé américain. Le sang bouillait, les tempéraments s’échauffaient, les cœurs se brisaient. Et puis, souvent, nous n’avons plus jamais parlé. Il n’y avait pas d’espace sûr pour parler de ce que nous nous faisions les unes aux autres.
N’oubliez pas de toujours créer des espaces sûrs pour discuter de la façon dont les féministes intériorisent également le patriarcat.
Faire du travail féministe n’est pas un moyen de satisfaire tous ses besoins psychologiques ou économiques. Les mouvements ne peuvent s’épanouir si leurs membres sont là principalement pour des raisons thérapeutiques ou professionnelles. Vous avez la responsabilité de veiller à ce que votre moi blessé ne fasse pas obstacle à votre moi guerrier.
L’oppression est réelle. Elle fonctionne. La torture, en particulier la torture sexuelle, démoralise, paralyse et induit la haine de soi et l’autodestruction. Être traumatisée ne fait pas nécessairement d’une personne une personne noble ou productive. Certaines s’en sortent, d’autres pas. Certaines victimes de viol et de coups et blessures veulent un soutien et des conseils féministes, d’autres non. Certaines femmes veulent se sauver elles-mêmes ; d’autres sont trop traumatisées pour participer à leur propre rédemption.
Il est essentiel que vous reconnaissiez vos problèmes psychologiques, du moins pour vous-même. Essayez de ne pas humilier, exploiter, dénigrer, aliéner les autres parce que vous aussi, vous souffrez. Agissez malgré tout, essayez de ne pas utiliser le fait que vous avez été maltraitée pour expliquer ou justifier pourquoi vous faites (inconsciemment) du mal aux autres.
Vous allez faire de terribles erreurs. Reconnaissez-les. Les leadeuses vous décevront. Attendez-vous à cela.
Une leadeuse n’est pas toujours une mentor ; une mentor n’est pas une déesse-mère en charge d’un « réseau de vieilles filles ». Nous n’avons pas de « réseau de vieilles filles », pas encore. Vous devez le savoir et ne pas supposer qu’il en existe un que l’on vous cache. Ce que nous avons, c’est un travail difficile que nous devons faire ensemble. Parfois, une femme mariée à l’homme idéal, ou née dans la bonne famille, peut choisir d’utiliser son accès à ces ressources au profit d’une alliée ou d’une cause. C’est une bonne chose. Il ne s’agit pas d’un « réseau de vieilles filles ».
Les jeunes féministes parlent souvent des mentors comme si on ne pouvait pas avancer sans elles.
Vous pouvez le faire. Nous l’avons fait.
Selon moi, une mentor n’est ni une mère qui donne tout, ni une déesse du bien-être. Elle n’est pas l’autorité finale, et vous n’êtes pas une simple subalterne. Ce que vous lui apportez est également crucial. La réciprocité est essentielle.
N’oubliez pas non plus qu’une pionnière est une personne qui rompt avec le passé. Elle n’est pas facile à encadrer – et ne devrait pas l’être – car elle n’obéit pas automatiquement à l’autorité. Une mentor est plus une mère qu’une amie, mais plus une sage-femme qu’une mère.